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    1. Lettre mensuelle de la Sécurité

      n° 020 : janvier 2016

       

      L'énergie cinétique

      thierry

      (Par  Thierry COUDERC, Président de la Commission Sécurité des vols)

      En réaction aux diverses publications de sécurité de la FFPLUM face à l’accidentologie plus que préoccupante de l’année qui s’achève, quelques pilotes qui avouaient éprouver des difficultés à respecter nos emblématiques 450 kg, se sont demandé si l’acceptation d’une augmentation de masse assumée n’était pas une piste à explorer. S’il ne s’agit que de faciliter le respect formel de la réglementation, ce serait en effet efficace. Mais pour ce qui serait d’améliorer concrètement la sécurité ULM, l’argument est beaucoup plus problématique.

      En effet, le travail d’analyse qui est mené par les pouvoirs publics sur les accidents récents fait trop fréquemment ressortir des doutes sur le respect des masses de références ULM impliqués.

      L’énergie libérée lors des impacts apparaît de plus en plus souvent incompatible avec la marge de résistance des bâtis moteurs, des réservoirs et des cellules, et ont entraîné des destructions qui ont considérablement réduit les chances des occupants d’en sortir indemnes. Sans être nouveau, ce phénomène semble s’être amplifié. L’évolution d’un parc d’ULM qui a de plus en plus de mal à respecter le verdict des balances, au moins dans certaines classes, pourrait apporter un début d’explication.

      Il faut bien voir que ce chiffre de 450 kg n’a pas été inventé par hasard. Ce sont des calculs et des expériences qui ont montré que les risques de transformer un atterrissage en campagne ou même un simple posé dur en crash, augmentent de façon exponentielle dès que l’énergie cinétique à résorber dépasse 75 kilojoules.

      Rappelons que la formule est E = ½ M x V²

      E = énergie en joules – M = masse en Kg – V = vitesse en mètres par secondes

      Si l’on résout l’équation pour 75 kilojoules et 18 m/s (65 km/h correspond à 18 mètres par seconde), on tombe sur 462 kg et quelques après la virgule, ce qui concorde peu ou prou à ce que devrait être la masse au décollage réelle d’un ULM raisonnable équipé de son parachute. En essayant de jouer sur les paramètres de la formule, on se rend compte que si l’on dépasse cette masse, il faut réduire la vitesse de décrochage pour rester sous l’énergie à ne pas dépasser. Aux 600 kg réclamés par certains, il faudrait pouvoir voler sous 15 m/sec, soit 54 km/h. C’est une vitesse rarement raisonnable avec un aéronef à voilure fixe dans les turbulences d’une approche de précaution, à moins qu’il n’ait été conçu spécifiquement pour ce faire.

      En outre, il faut bien comprendre que les effets d’une petite augmentation de l’énergie cinétique peuvent être énormes. Il suffit de considérer le fait qu’une balle de pistolet militaire a une énergie moyenne de 5 kilojoules en sortie de canon.

      À l’autre bout du domaine de vol, on peut évaluer l’énergie que doit absorber la cellule en cas d’impact à une vitesse correspondant à 150 km/h en faisant le calcul avec 44 m/s. Le résultat donne un minimum de 435 kilojoules si les 450 kg sont respectés. À une telle vitesse, somme toute encore très raisonnable pour un aéronef, la conclusion d’une situation d’urgence n’est plus entièrement entre les mains du pilote. Elle dépendra vraiment de la trajectoire terminale, de la configuration du site de posé, ou de la présence d’un parachute. Ainsi, on voit que la marge de sécurité spécifique à l’ULM n’apparaît qu’aux faibles vitesses, et à condition de ne pas dépasser la masse maximale définie pour lui.

      Incidemment, ce raisonnement montre aussi que les paramoteurs, les appareils à voilure tournante ou les aérostats sont bien mieux lotis, au moins à cet égard. Sous réserve de rester contrôlés en cas de posé d’urgence, ils peuvent avoir beaucoup moins d’énergie horizontale à résorber puisque leur vitesse minimum de manœuvre peut être beaucoup plus faible, voire même nulle (*).

      Certains propriétaires arguent que leur appareil utilisé en tant qu’ultraléger est conçu pour pouvoir dépasser la masse de référence ULM entre autres parce qu’il en existe des versions certifiées. Certes, un tel ULM pourra rester contrôlable et absorber les efforts supplémentaires d’une surcharge. Mais celle-ci suppose d’autres limites au domaine de vol, en particulier une vitesse minimum de manœuvre généralement plus élevée et une incidence à basse vitesse plus cabrée qui n’est pas nécessairement compatible avec les réglages adoptés pour la version ULM. C’est ainsi que l’appareil risque de ne pas pouvoir physiquement satisfaire à la formule s’il est chargé à plus de 450 kg. Il faut alors prévoir d’autres moyens d’augmenter la marge de sécurité que l’agilité à basse vitesse pour réduire les risques, par exemple en certifiant sa conception et sa maintenance, en faisant surveiller le maintien de compétence des pilotes ou en restreignant ses droits à utiliser des pistes non aménagées, bref, en le faisant entrer dans la catégorie des avions.

      (*) La présente lettre s’appuie principalement sur le cas des appareils à ailes fixes parce que c’est celui qui est le plus simple à appréhender. Il serait toutefois exagéré d’en conclure que les ULM des autres classes sont nécessairement plus sûrs, ni qu’ils peuvent impunément dépasser les limites fixées. Les forces mises en jeu par leurs principes de vol présentent d’autres formes de vulnérabilités en fonction de leur masse. Pour les appareils à voilure tournante par exemple, l’augmentation de masse impacte la charge rotorique, les forces centrifuges et autres effets gyroscopiques d’une manière qui n’est pas non plus favorable à la survivabilité en cas de perte de contrôle.

      La commission sécurité des vols de la FFPLUM et le comité de rédaction de sa lettre mensuelle, adressent leurs meilleurs vœux à tous ses lecteurs pour 2016.

      L’année qui se termine a été difficile à plus d’un titre et son bilan est éprouvant. Nos pensées vont d’abord aux trop nombreux camarades qui ont été victimes de la passion du vol et à leurs proches. Avec la disparition de Dominique Méreuze, le mouvement ULM français a perdu le président qui en a fait ce qu’il est aujourd’hui. Nous montrer dignes de l’héritage qu’il nous laisse est un défi. Je crois que la meilleure manière de le relever est de faire durer cet héritage. Pour cela, il n’est d’autre option que de continuer à voler, en nous attachant à le faire en sécurité.

      Je formule le souhait que les nombreux vols que vous ferez l’an prochain soient tous placés sous le signe du plaisir de piloter.